Economiques

Aristote, « Les Economiques », Livre 1. Paris, Vrin

ANALYSE DES 6 CHAPITRES

Résumé des 6 chapitres du Livre I

I.1. Pour Aristote l'art de Economique a pour fin le bonheur — « le souverain bien » — au sein de la société domestique, tandis que l’art de la Politique vise à l’établir en tant que « bien commun » à l’échelle de la cité tout entière. Ce qui dans les deux cas implique la recherche des « vertus » ou conditions de la vie heureuse en communauté.

I.2. L’homme a besoin à la fois de vie en commun (pour devenir) et de propriété (pour être).
I.3. L'homme doit défendre son foyer et la femme s'occuper du bien-être du foyer : complémentarité de ces fonctions pour réaliser le bien-être.
I.4. Devoirs de l’homme envers la femme : justice et équité en vue de réaliser le bonheur du foyer.
I.5. Maître et esclaves. Le maître doit considérer le travail, sa sanction (récompense ou châtiment) en fonction de la définition des besoins à satisfaire. En contrepartie, l'esclave doit savoir que le prix de ses peines est la liberté.
I.6. L’économie des biens. L’exemple du bienfait de l'agriculture sur le corps et l'esprit et le problème du travail : à l'accord avec la nature correspond la santé psychique et le bien-être naturel dans la cité (naturel : c'est-à-dire non encore altéré par l'intérêt de la " chrématistique" : l’économie de l’argent). Aristote pense que seul le loisir importe pour l’homme libre dans la cité (le citoyen comme tel) car le travail abîme l’esprit autant qu’il déforme le corps.

Chapitre 1 : ‘Economique et Politique’
Introductif, ce chapitre est décisif pour la compréhension du Livre I. C’est pourquoi son analyse sera plus approfondie que les suivants. Il permet d’aborder les notions suivantes : Politique : Etat-société, droit-justice ; Culture : art, travail-technique ; Morale : liberté-bonheur

Il répond principalement à 3 questions, dont les 3 premiers §§§ constituent les réponses.

1. Rapport entre Economique et Politique : identité et différence ?
2. Economique et Politique relèvent de l’art : lequel, et pourquoi pas de la science ? 3. L’Economique est-elle postérieure ou antérieure à la Politique : qui fonde l’autre ?

Question 1 (§1). Quel est le rapport entre l'Economique et la Politique ?

La question a pour origine La Politique, Aristote ayant conçu le projet des Economiques en réponse à des questions soulevées dans son œuvre politique majeure. Ces questions portent sur la nature des relations ou des échanges au sein de la société domestique.

Un premier enjeu est de savoir s’il y a rupture ou continuité entre les deux formes essentielles de la vie en communauté : 1. la société naturelle que constitue la famille, 2. la société de droit que constitue l’Etat). Un deuxième est de savoir comment chacune d’elle répond le mieux au souci de soi et à la formation du sujet, c’est-à-dire de « l’animal politique » qui, selon Aristote, définit l’homme libre.

§ 1. A l’analyse du premier §, il est clair qu’Aristote définit ce rapport en 3 temps.
a. il commence par poser une différence d'objets :
- l'économie a pour objet « la société domestique » entendue en un sens plus étendu que nous (à ce

que Hegel nomme "société naturelle" dans la Propédeutique, il faut ajouter ici la propriété, les biens que possède la famille et qui assurent son indépendance, et conditionnent ainsi le statut de l’homme libre, du « citoyen »),

- la politique a pour objet la société ou « la communauté » que constitue la cité (par comparaison encore avec notre monde contemporain : dans ce que Hegel appelle « la société de droit constituée par l'Etat », c’est la liberté de l’individu qui fonde le droit, et non plus la seule propriété).

b. ensuite il pose leur identité : l'une et l'autre sont des arts (teknè), et non des sciences (épistémè), parce qu’elles ont pour objet, non l’être, mais le devenir de l’homme, de la famille, de la cité [toutes choses étant également orientées vers le Bien].

c. enfin il distingue ces arts eux-mêmes suivant leurs principes respectifs :
- la politique est « l'art du gouvernement de plusieurs » : plusieurs citoyens gouvernant l’ensemble des citoyens — gouvernés suivant la Constitution ou la Loi,

- l'économie est « l'art de l’administration d’un seul » : le maître de maison régnant d’autorité suivant la tradition — et non la loi — sur un seul foyer, une seule « maisonnée ».

TABLEAU RECAPITULATIF — CHAPITRE I

Question 2 (§2). De quel type d’art relèvent-ils ?

Tout d’abord il faut préciser en quoi l'Economique serait un art (teknè) et non une science (épistémè). La question appelle distinction suivante :
teknè = « vertu de l'intelligence poïétique (de poïein , faire) », l’art est défini par Aristote comme « la faculté de produire secondée par la raison » : l’art concerne ainsi le devenir, et non l’être, adaptant aux cas pratiques les données universelles de l'intelligence ou de la raison.
épistémè = « vertu de l'intelligence théorique » la science est la « faculté de saisir les principes ou les causes » : la science concerne donc, en revanche, l'être dont elle est, en définitive, la capacité de dire et de démontrer les choses qui ne peuvent être autrement qu'elles ne sont.

Or que nous enseigne la vie politique comme la vie familiale ? Famille et cité sont-elles plutôt des choses qui sont ou qui deviennent ? En vertu de quoi ? Pourquoi ?

Nous pouvons alors nous concentrer sur la question du type d’art. Certains arts, en effet, impliquent une division des tâches. Exemple : en musique c’est bien le luthier qui fabrique le violon, mais c’est le virtuose inspiré qui en tire la musique véritable : celle qui, en offrant la perfection de la forme, transporte tous les hommes. L’art dont il est question ici a au contraire pour principe et de constituer la cité [ou de former la famille] et d’assurer son développement harmonieux. Mais ne peut-on pas légitimement comparer l’oeuvre du grand politique ou du grand chef de famille avec le grand musicien ? Ne sont-ils pas également de nature ou de force à « conduire où il leur plaît l’âme des hommes » (comme le suggère Platon dans son dialogue Ion) ?

Note sur la question du Droit. Aujourd’hui encore, c’est « la Constitution » qui fonde l’Etat comme tel : elle est « la loi de la loi » (« le droit étatique interne » pour Hegel ), tout comme « l’état civil » institue la famille comme telle, ainsi établie et reconnue par la loi, pour tous et devant tous. Mais réservons ce point au chapitre 2, portant sur la propriété.

Question 3 (§3).

Lequel de ces deux arts est « antérieur » (premier) ? Postérieure à la Politique selon la raison, l'Economique lui est antérieure par l'origine, c’est-à-dire selon la nature (Cf. Note [6] ou Ethique à Nicomaque, I). Selon l'expression profonde d'Aristote, ce qui est premier dans l'ordre de la genèse est [et ne peut que rester] dernier dans l'ordre de l'analyse : puisqu’il nous faut bien remonter de ce qui est (se présente à nous) à ce qui en est la cause ou la raison d’être ainsi.

a. explication suivant la nature [la genèse, l’origine].
La famille n'est-elle pas la première communauté naturelle ? Ne précède-t-elle pas, historiquement, la cité qui est une communauté de plusieurs familles ? Par suite, ne peut-on pas considérer l'administration de la famille comme portant en soi le principe du pouvoir applicable à l'administration de tous les hommes ? Si la famille est pour tous le bien le plus cher, alors ne peut-on pas imaginer que le pouvoir qui s'y exerce soit aussi le meilleur et qu'il puisse fournir un modèle valide pour l'ensemble des familles dont est constituée une cité ? Accordons ici pour problématique que ce qui vaut pour la partie ne vaille pas nécessairement pour le tout ; et

concept

Politique

Economie

Cause matérielle (objet)

Cité (= ensemble de n familles)

Société domestique (= 1 famille)

Cause formelle (définition)

Art du gouvernement de plusieurs (citoyens gouvernants / gouvernés)

Art de l'administration d'1 seul (1 maître d’1 foyer = 1 citoyen)

Cause efficiente (principe)

Loi (égalité)

Autorité (hiérarchie/tradition)

Cause finale (fct.)

Bonheur («bien-vivre», vie heureuse)

Bonheur («bien-vivre»)

arrêtons-nous sur la forme la plus célèbre qu'a revêtu ce débat à Athènes. Selon Xénophon, à tous les grecs assemblés qui lui demandaient pourquoi il avait choisi pour épouse Xanthippe, "la femme réputée la plus difficile des temps passé, présent et futur", Socrate répondit : "Si je peux l'éduquer, voire seulement la dompter, alors je pourrais administrer tous les hommes" !

L’histoire illustre l'opposition — sous-jacente aux Economiques, entre le point de vue de Socrate (et donc de Platon) et celui d'Aristote. Socrate pense que l'éducation découle de son Idée ou concept, si bien que ce qui vaudrait pour le cas le plus difficile vaudrait a fortiori pour tous les autres, et quelle que soit la cité. Aristote, au contraire, pense que l'éducation est l'affaire du législateur qui, dans telle cité, fixe la nécessité du rapport éducatif en fonction des circonstances ou de la réalité de la cité. La perspective de Socrate a donné lieu à l'utopie communiste de la République de Platon. La perspective de la Politique d'Aristote permet en revanche de discuter la question de savoir si l'Economie diffère ou s'accorde au sens que nous prêtons aujourd'hui à ce mot (avec les notions modernes d'Etat et de société, de justice et de droit, de nature, d'histoire et de liberté qui s'y attachent désormais). Elle semble différer au sens où, pour nous, l'Economie porterait davantage sur les biens (économie marchande) que sur les personnes, tandis que chez Aristote cela paraît être dans le rapport inverse (économie domestique). Mais elle semble s'accorder au sens ou l'idéal de bonheur visé semble n'avoir jamais été aussi fort, malgré les promesses du progrès, et dans un environnement devenu plus complexe. Qu'en pensez-vous ?

b. explication suivant la raison en abrégé (car plus difficile).
Pour Aristote, l'homme (nous pourrions dire aujourd’hui, dans les termes du programme, le Sujet) ne peut se connaître lui-même que dans la cité (la polis), cité dont la forme achevée est l'Etat, et le contenu la vie politique. La Politique est définie dans l’Ethique à Nicomaque comme "la science architectonique", dans la mesure où c'est elle qui dirige toutes les autres sciences vers la seule fin qui vaille : le "bien-vivre", le "bonheur". Mais elle est un art, une teknè, en ce qu'elle vise l'individuel concret, c’est-à-dire le devenir particulier de telle Cité. C’est pourquoi, néanmoins, la Politique est première en dignité. Mais une vie à la fois réglée par l’intérêt économique et dirigée par la vertu est-elle possible ? L’équilibre entre l'intérêt légitime de posséder des richesses et le désir de justice sans lequel cet intérêt ne peut déboucher que sur la violence et la guerre est-il possible ?

La « théorie des 4 causes » appliquée à la cité au début du § 3.

C’est elle qui assure la transition entre les 2 questions précédentes. Son importance dépasse le cadre strict des Economiques, mais néanmoins sa place stratégique rend incontournable l’analyse. Aristote l’a créée pour 2 raisons : pour déterminer le concept d’un être et expliquer son mouvement.

Cause matérielle : « une certaine quantité de maisons, de terres et de biens, suffisants ». I. e. les conditions matérielles de l’autarcie (= l’indépendance économique).

Cause formelle : « la communauté ». Cf. ci-après.

Cause motrice ou efficiente : « les hommes s’associent ». L’association la plus naturelle étant celle de l’homme et de la femme qui forme la communauté du couple. Et la moins naturelle (mais première selon la raison pour permettre la réalisation de l’homme libre) étant l’association ou la communauté politique.

Cause finale : « la vie heureuse ». L’idée du Bien de Platon, redescendue sur terre et placée sous l’impératif éthique de l’action vertueuse. Le bonheur dépend de la juste pratique.

La réalisation de soi et l’accomplissement des possibilités humaines sont donc liés à l’accomplissement de la famille et de la cité placées sous le signe de la raison.

Chapitre 2 : ‘Les parties de la famille : l’homme et les biens’

Ce chapitre distingue l’objet de l’Economie, « la société domestique », par ses composantes [et permet de bien différencier la famille d’alors de celle d’aujourd’hui]. Il aborde plusieurs notions du programme de S (Politique : droit ; Culture : travail et technique ; Morale : liberté et bonheur) et pour le programme de STI (Liberté : bonheur ; Culture vs. Nature : technique).

Question 1. Quelle analyse est ici faite de la famille ?

Commentaire § 1

5.1. Ce chapitre concerne l'analyse ou la division de la famille en deux catégories : les hommes [homme et femme] d'un côté, les biens ou la propriété proprement dite de l'autre. Aristote y rappelle une partie essentielle de sa méthode qui, de

Descartes à aujourd'hui sera inlassablement reprise dans toute étude de nature scientifique : diviser les difficultés pour mieux les résoudre. Il fonde cette division sur une citation d'Hésiode in 'Les travaux et les jours' — oeuvre dont l'autorité ou la sagesse pour ce qui concerne la vie grecque était alors incontestable : "Une maison en premier, puis une femme [et un boeuf de labour]."

Pourquoi la maison en premier et non la femme ?
Parce que suivant sa définition, la maison constitue du point de vue de l’homme (maître de maison), à la fois :
a. l'abri indispensable pour recevoir "celle que l'on a arraché à son foyer", et le premier lieu de la satisfaction des besoins,
b. ensuite, le lieu de vie où réaliser avec elle sa forme : i.e. la première et la plus naturelle des communautés (la famille réalisant déjà, sous l'égide de l'amour, la reproduction, la sauvegarde et la perpétuation de l'espèce, ce que la cité réalisera de même par l'action politique, sous l'égide de l'amitié ).
c. enfin son but : le bonheur.
Il faut donc, peut-être, se méfier de ne pas trop vite interpréter ce passage à partir de nos préjugés matérialistes. La première phrase du chapitre suivant peut d'ailleurs nous y aider : "Voyons maintenant ce qui concerne les hommes eux- mêmes [et non plus les biens, NDR], et occupons-nous en premier lieu de la femme...". En outre, la fin du § y renvoie très clairement : les relations fondamentales de l’homme et de la femme feront l’objet des chapitres suivants.

Commentaire §§ 2 et 3 : (cf. cours)

Question 2. Quel(s) lien(s) peut-on établir ici entre Nature, Technique, Travail et Liberté ?

C'est ainsi l'analyse des biens eux-mêmes qui fait plutôt l'objet du présent chapitre. Leur possession, i. e. leur propriété conditionne, en effet, toute la vie familiale, tout comme le soin de la terre, "notre mère commune", conditionne la satisfaction des besoins élémentaires. Or, qui dit "biens", dit propriété. Mais quand nous parlons de propriété aujourd'hui nous pensons au Droit. Aristote pense, lui, et "droit de propriété" et "ce qui est propre à l'homme" : c’est-à- dire ce qui est de nature à lui permettre de s'accomplir comme tel.

Ce § l’illustre de façon paradoxale dans la mesure où le rapport de l'homme à la nature, qui revêt la forme du Travail et de la Technique. Il est alors analysé sous l'angle de leurs conséquences pour l'homme, eu égard à sa fin : le bonheur. Aristote distingue entre l’agriculture et les autres arts mécaniques, ce sur quoi nous reviendrons au dernier chapitre.
Il faut noter, avant d'engager la discussion, que la Terre n'est pas alors pour les Grecs l'espace calculable et exploitable tel que nous le concevons aujourd'hui, mais bien "la Terre en tant que demeure familière de

l'homme" : Oikoumenê Gê.
Pour nous résumer, en vue du baccalauréat, la philosophie interroge également les fonctions humanisantes et

déshumanisantes du travail et de la technique.

Identité et différence entre les deux notions :
a. le travail désigne tout d'abord l'acte de transformation de la nature ayant pour fin la satisfaction des besoins, la technique (ou art : de teknè) désignant les moyens de cette fin — des moyens pensés, à la différence des animaux. C'est cette dimension qui élève l'homme au-dessus de l'état de nature.
b. mais tous les deux peuvent affecter du même coup la nature de l'homme — son histoire, sa culture — c'est alors cette transformation qui peut être vue comme une aliénation, au sens négatif qu'Aristote prête aux arts mécaniques et à leurs effets : à savoir qu'ils appauvriraient l'homme libre, qu'ils le rendraient esclave en lui tordant le corps et l'esprit . Esclave de l'argent et de travaux impropres.
C'est ce problème qui est offert à notre réflexion et qui garde pleinement son sens.

Chapitre 3 : Rôles respectifs de la femme et de l’homme dans la société domestique

§ 1. Question : Pourquoi la femme appartient-elle à la catégorie Homme au même titre que l’homme lui- même ? Réponse du texte : « car la communauté de vie [de l’homme et de la femme] est la plus naturelle de toutes » et concourt à la reproduction de l’Homme : de la femme autant que de l’homme et de l’individu autant que de l’espèce. Dans ce §, il faut bien noter la hiérarchie des termes : selon la raison, c’est l’Homme en tant que catégorie qui désigne également et l’homme et la femme, tandis que selon la nature c’est la distinction entre le mâle et la femelle qui est première. Les raisons en sont exposées au second §.

§ 2. Trois questions structurent ce long paragraphe :

Q1. Qu’est ce qui fonde la relation homme-femme ? Chez l’homme, c’est la raison (médiatisée par le langage, la parole), tandis que chez l’animal, c’est par instinct que se règlent les rapports entre mâle et femelle. Dans le texte, cette hiérarchie procède d’une progression continue (naturelle) : a. animal, b. animal domestique, c. homme. Par quels arguments Aristote en caractérise-t-il les différences ? Relevez les. Du plus simple au plus complexe : depuis l’acte instinctif de la procréation jusqu’à l’action vertueuse (secondée par la raison), qui vise à réaliser le bonheur.

Q2. Quel est le but de cette relation h-f ? Le bonheur en est la fin unique, selon la raison. Mais, selon la nature, elle a un double but : a. la reproduction de l’homme en tant qu’individu, et b. sa sauvegarde en tant qu’espèce.

Q3. Comment s’effectue le partage des tâches dans le travail et dans l’éducation ? Le texte opère une suite de distinctions.
D’une part, entre les individus qui sont les termes de la relation :

-Le sexe faible par opposition au fort.

-La prudence (par la circonspection de la femme) par complémentarité avec le courage de l’homme lequel doit assurer la défense du tout.
D’autre part, entre le dedans et le dehors (de la « maisonnée ») où chacun réalise sa fin respective :

-Sédentaire et nomade.
-Nourriture et éducation.
Ces couples de distinctions sont autant de conditions pour réaliser l’idéal d’autarcie et par

conséquent le bonheur de l’homme et de la cité. Mais ces distinctions renvoient aussi au lointain passé « naturel » de l’homme (i. e. bien au-delà d’Hésiode toujours cité par Aristote) et sur lequel il faut bien réfléchir : une excellente piste est, à cet égard, le livre de M. Leroy-Gouran, Le geste et la parole, qui tente d’expliquer l’émergence et la fusion des rôles dès la préhistoire.

Chapitre 4 : ‘Devoirs du mari envers sa femme.’
Ce chapitre traite de la femme et des devoirs de l’homme envers elle (c’est le Livre III qui traite des devoirs réciproques de la femme envers l’homme, mais ce Livre, rappelons-le est rien moins qu’authentifié, c’est pourquoi nous l’avons laissé de côté). Il permet d’aborder plusieurs notions du programme de S (Politique : droit ; Morale : liberté et bonheur ; Raison : vérité).

Il répond principalement à 2 questions : celle des devoirs au sein de la « communauté la plus naturelle » et celle, encore une fois, des conditions de la vie heureuse, mais cette fois en ce qui concerne le couple promu à une unité supérieure à celle de l’individu (non plus l’analyse du couple).

§ 1. 4 Règles principales :

  1. Règle universelle : la justice réciproque entre époux. Mais une justice dont on peut se demander à la lecture de tout le texte, si elle ne relève pas de registres différents pour l’homme (chez qui Aristote semble en appeler à la raison) et pour la femme (chez qui c’est plutôt par nature qu’elle devrait être « vierge » au moment du mariage : mais sans autre indication, il est difficile d’aller plus loin que pour le § 2). On remarquera que pour fonder l’universalité de cette « règle », Aristote s’appuie là sur une référence à l’école pythagoricienne, selon laquelle tout est fondé sur le nombre et donc ici sur le principe d’égalité, mais avec une nuance morale d’importance : ce qui est vrai pour l’un doit être vrai pour l’autre (à bien réfléchir et argumenter).

  2. Règle ‘au dehors’ : l’interdit de relations illicites (principalement l’adultère).

  3. Règle ‘au dedans’ : l’abstinence qui doit résulter de relations aussi nécessaires (pour la procréation) qu’exlusives (par fidélité).

  4. Règle d’amour : liberté et droiture doivent régner également dans l’intimité de l’homme et de la femme (« sans affectation », « sans masque », bref : sans théâtre). Thème à rapprocher de la Politique et mettre au nombre des conditions pour faire le bonheur et réussir ses enfants.

§ 2. Problème relatif à la recommandation d’Hésiode. Forger un caractère propre à l’amour implique, a priori selon Aristote, une relation ouverte : c’est pourquoi il serait préférable « d’épouser une vierge ». Mais ce caractère s’applique-t-il au couple ou bien à l’un de ses termes seulement ? Quid de l’homme : nous ne l’apprendrons pas ici. Il est certain que ce passage est de nature à choquer, ou du moins à nous interroger aujourd’hui

Chapitre 5 : ‘Relations Maître Esclaves.’

§1. Première source d’étonnement pour nous qui n’avons plus d’esclaves :

  1. Ils sont rangés, parmi les biens de la société domestique, donc à titre d’objets (cf. Note)

  2. mais aussi, paradoxalement, sous la catégorie 1ère de cette même société : l’homme.

    Ce paradoxe est la clé du paragraphe central de ce chapitre : le § 5. On peut le formuler ainsi :

comment, à une époque ou l’esclavage résulte d’une tradition ancestrale et ne pose donc pas de problème moral, Aristote peut-il formuler l’hypothèse que l’homme est néanmoins premier “dans” l’esclave ? Réponse : on est homme « par essence », tandis que ce n’est que « par accident » que l’on devient esclave (3 sortes alors : par nature de « brute », par la guerre en étant fait prisonnier, enfin en se constituant soi- même prisonnier pour régler une dette à l’égard d’un autre « homme libre”).

§ 2. On retrouve, dans la 1ère phrase, la théorie de la vertu, “médiété” ou moyenne entre deux extrêmes, appliquée non plus à soi-même mais à la relation. Les 2 extrêmes qu’Aristote nous invite à considérer ici sont, par les termes de la relation, l’insolence et la violence :

  1. l’insolence de l’esclave, car en contestant son maître, non seulement l’esclave ne fait pas son travail

    mais il conteste le principe de la société domestique : c’est le maître qui détermine les fins, à travers

    l’orientation générale et les ordres qu’il donne à toute la maisonnée.

  2. la violence du maître, car en usant de celle-ci le maître détruit et l’outil de production et la fin qui est

    le bonheur de la maisonnée.

    Aristote hiérarchise ensuite les types d’attention à porter à ses esclaves. Premier type : “avoir des égards” pour ceux dont les activités relèvent davantage de l’esprit (comme par exemple du “Pédagogue” dont la fonction est de conduire les enfants à l’école). Deuxième type : “pourvoir en nourriture pour ceux dont les activités relèvent davantage du corps (en bref, tous les autres qui ont une activité mécanique, par nature impropre au développement harmonieux de l’esprit). Troisième type : quant au vin réserver strictement son usage pour les fêtes : pour libérer la partie (“le bien”)... à défaut du tout (“l’homme libre”). Réfléchir ici à la raison des fêtes : système de compensation qu’Aristote semble vouloir réserver à ceux qui en ont réellement besoin, i. e. permettant aux esclaves de supporter, en la sublimant, la privation des valeurs qui caractérisent l’homme libre. Qu’est-ce qu’une fête ?).

§ 3. A la différence de l’homme libre, l’esclave ne possède pas sa fin en lui-même. Elle se situe au dehors, dans le travail donné par le maître. Et, conformément à cela, les principes pour atteindre cette fin (ou la fin de cette fin !) sont eux-mêmes externes : châtiment et nourriture. Il doit donc y avoir équilibre sinon :
a. la nourriture n’est pas considérée ici pour alimenter l’homme, mais la force de travail (pas question de mets délicieux qui, si on leu r en donnait l’habitude engendrerait l’insolence à l’égard des maîtres, par habitudes des bonnes choses à l’égal du maître ; mais seulement d’équilibre, de moyenne entre les trois choses qui forment l’esclave comme tel : travail, châtiment, nourriture. b. le travail seul est instrument de torture (conformément à l’étymologie latine) or l’objectif n’est pas de détruire l’esclave, mais de le conserver : seconde raison de conserver l’équilibre entre TCN.

b. le châtiment résulte de la surveillance du maître ayant pour fin de le proportionner à la conduite de l’esclave. Pour commander ses esclaves il est donc recommandé d’obéir à certains principes : tout comme le médecin qui prend soin de ses patients, prendre soin de ses esclaves c’est prendre soin du corps de la société domestique. Mais l’esclave doit-il être considéré comme une médecine permanente eu égard à l’homme libre qui est le maître, dans la mesure où il preserve celui-ci des travaux mécaniques qui de Platon à Aristote signifient tant la ruine du corps que de l’homme.

§ 4. Même chose qu’en 2 : théorie de la vertu. Mais tordue par le fait que ce n’est plus l’homme qui est en vue mais l’esclave (...).

§ 5. Le problème de la liberté : même un esclave ne peut être « sans fin » ou tout à fait privé de « fin ». Pourquoi ? Parce que derrière l’esclave se cache l’homme. Du moins est-ce cela qu’Aristote à en vue. Or l’homme a pour fin la liberté à travers celle de sa communauté : seul le bonheur au sens politique, et non subjectif, est complet pour les Grecs.

Que signifie alors la liberté ?

  1. L’accomplissement de soi au sein de ma communauté d’appartenance : c’est-à-dire en tant que citoyen, homme libre reconnu de tous par ses actes au service de la communauté.

  2. 2. L’indépendance par rapport à tout principe extérieur — idéal d’autarcie — en accord permanent avec ma nature d’animal politique.

Pb. : que se passe-t-il si l’on est privé et de l’une et de l’autre de ces détermination ? C’est là le problème que posent l’esclave et l’esclavage, formes d’existence qui ne relèvent plus de la nature, mais de l’histoire.

Chapitre 6 : ‘L’administration des biens.’

Notions. La culture : le travail et la technique.

Dans le chapitre 5, Aristote a conduit notre réflexion de la sphère économique à la sphère politique partant de ces deux questions : quelle est la nécessité des rapports entre le maître et ses esclaves et quelles sont les vertus du « bon esclave » ? Dans ce chapitre, le parcours se fait en sens inverse : de la sphère politique au sens large (les cités grecques ou perses évoquées aux §§ 2 et 3) à la sphère économique au sens strict de l’administration des biens (retour logique à l’objet principal du livre). Les questions relatives aux relations et aux vertus se concentrent pour terminer sur le maître de la société domestique, responsable de cette administration.

§1. Les qualités du maître ne sont-elles pas les mêmes que celle de l’Etat dans l’administration de la cité ? Quant aux moyens : « acquérir et conserver ». Quant aux fins : « exploiter et utiliser ». A expliciter par des exemples précis.

§2. Comme pour l’administration de la cité, le maître ne mettra pas tous ses œufs dans le même panier : mesure, prudence et prévoyance. La comparaison avec la cité s’arrête sur le point de la conservation des biens : à la différence de la cité qui doit fonder des réserves, la société domestique privilégiera la circulation et l’échange des biens périssables, de manière à limiter les risques de perte.

Sur l’économie des biens. L’exemple du bienfait de l'agriculture sur le corps et l'esprit et le problème du travail : à l'accord avec la nature correspond la santé psychique et le bien-être naturel dans les rapports sociaux (naturel : c'est-à-dire non encore altéré par l'intérêt généré par l'argent, par "la chrématistique") ; néanmoins Aristote pense que seul le loisir importe pour l’homme libre dans la cité : le citoyen comme tel.

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ANNEXE


Introduction. Les Economiques sont, au principe, un complément de la Politique concernant la nécessité des rapports ou le « droit des échanges » entre l’homme et la femme, le maître et l’esclave. Comme une famille est partie d’une cité, l’Economique est partie de la Politique. L’enjeu est donc de réfléchir à la question de savoir dans quelle mesure ces arts peuvent contribuer au bonheur de la communauté tout entière. Pour cela, il faut se pencher sur la nature des échanges qui sont cause de la réussite ou d’échec sur le chemin du bonheur que tous les hommes recherchent, tant sur le plan public que privé. Enjeu: être en mesure de comparer et d’apprécier la pensée d’Aristote avec la pensée moderne.

§1. Origine de l'économie. Le terme économique vient du grec oïkos (maison) et nomos (loi, règle, administration) ; soit l'art de bien administrer la maison, d'en gérer les biens et, par extension, les biens d’une d'une Cité. La pensée économique ne prend son véritable essor qu'à partir de l'Antiquité grecque, quand les écrits permettent de la transmettre autant que de la discuter. Ainsi, dès le -Vème siècle, les sophistes qui professent dans toutes les cités grecques commencent-ils à discuter la réduction du rôle de l'Etat et la libéralisation des échanges avec l'extérieur. Leurs idées sont combattues par Socrate (770-399 av. J-C.) puis Platon (428-347 av. J-C.). Avec Xénophon (430-355 av. J-C.) les questions économiques se radicalisent encore, comme en attestent ses ouvrages "L'économique" et "Les revenus" dont l'objet est de rechercher "comment accroître la richesse". Mais la réflexion la plus vaste et la plus profonde est dûe à Aristote (384-322 av. J-C.). Elle est exposée dans "La politique", "L'éthique à Nicomaque" et "Les économiques". Trois oeuvres qui manquent rarement d’étonner notre vision contemporaine de l'économie (cf. § 2). Aristote la distingue d'abord de la politique qui relève du gouvernement de la Cité par plusieurs citoyens (et non du seul Maître) ; ensuite de l'art d'acquérir la richesse, la chrématistique, considérant que l'accumulation de l'argent pour l'argent est une activité contre nature qui déshumanise et ceux qui s'y livrent et ceux qui la subissent. Certes, la pensée d'Aristote est étroitement liée à la société dans laquelle il vit. Mais ses réflexions sur l'esclavage, sur le commerce, sur le prêt à intérêt, sur la détermination du rapport d'échange entre les biens, sur le rôle de la monnaie marqueront de façon décisive toute l'histoire de l'économie occidentale en les rapportant toujours à leur finalité : le bien-vivre... par opposition au simplement vivre.

§ 2. Economie moderne et problématique. Science de l'acquisition, de la production et de la distribution des biens nécessaires, l'économie a désormais pour objet la rationalisation de l'offre et la demande, c’est-à-dire l'optimisation de leur «surface de contact».
Le travail de l'économiste moderne consiste ainsi :

  • -  à étudier comment la société produit ses richesses et les répartit,

  • -  à expliquer ses dysfonctionnements pour améliorer ses dispositifs techniques et législatifs.
    Le gouvernement dispose alors des résultats de ces études pour réguler l'activité économique suivant sa politique. Cependant, comme ces études se contredisent souvent d'un modèle économique à l'autre, leur relativité les ferait sans doute encore renvoyer par Aristote du côté de l'art plutôt que de la science dont elles se réclament (songez que vous entrerez peut-être demain à Sciences-Po, Eco...).

    L'économie moderne est toujours intimement liée à des philosophies politiques.

    En voici deux exemples :
    1. l'Union Européenne a été créée à la fois pour régler le problème des guerres qui l’ont déchirée et

    pour favoriser la coopération entre états européens,
    2. l'impact général des activités économiques sur les ressources naturelles et donc sur l'équilibre de la

    planète a promu l’idée du développement dit "durable".
    Ces exemples impliquent tous deux le cosmopolitisme forgé par les Stoïciens.

    Mais sur le fond, dans le cadre de la mondialisation des échanges, en privilégiant :

    • -  la performance (technique et financière) sur la nécessité des biens (on se demandera

      utilement par exemple si tous les "produits" sont aujourd’hui vraiment des «Biens»),

    • -  le travail sur le loisir (voir la déconsidération actuelle de « ceux qui ont du temps »),

    • -  la productivité sur la qualité de la vie (cf. le stress, le recours au dopage généralisé),

      L’économie moderne ne tend-elle pas à masquer la vie bienheureuse derrière profit et fascination ?
      Second paradoxe : maintenant que, selon le rêve d’Aristote « les navettes du métier à tisser marchent toutes seules » (et remplacent les esclaves), comment s’expliquer que les loisirs — qui forment selon lui la condition sine qua non du développement de la pensée (philosophie et sciences) et donc de l’homme — soient aujourd’hui encore dévalorisés face à la valeur travail ?

      © Pierre Rostaing

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